mardi 10 août 2010

Fleurs de famille

Mes grand-parents maternels étaient des passionnés de jardinage. D'aussi loin que je m'en souvienne, il y avait toujours des fleurs à profusion chez eux et un immense potager. Quand nous les visitions en été, ma grand-mère nous y envoyait juste avant le souper, cueillir à la dernière minute une tomate pour la salade, du maïs comme entrée, des haricots jaunes. Fleurs et légumes occupaient mes grand-parents en été, si bien qu'ils découpaient les mots croisés du journal pendant toute la saison, les conservant pour les journées plus tranquilles d'hiver! Mes grand-parents étaient très instruits, ayant tous deux fréquenté l'université, ce qui n'était pas la norme à l'époque même pour les hommes, et que dire des femmes! Grand-Papa était agronome (et son diplôme de l'Université de Montréal est signé par le recteur Édouard Montpetit, celui qui a donné son nom à la rue où se trouve actuellement le pavillon principal de l'institution--j'ai d'ailleurs failli l'écrire avec un trait d'union, par habitude). En plus d'aimer le jardinage, mes grand-parents avaient donc accès à toutes les connaissances de l'époque sur les plantes, leur culture et leur entretien.

Curieusement, cet intérêt semble avoir sauté une génération. Quand j'étais enfant, nous n'avons jamais eu de jardin à la maison, même si la taille de notre cour nous l'aurait amplement permis. Certaines années, mon grand-père nous donnait un plant de tomates qui grandissait dans une chaudière de cinq gallons. Sinon, rien. Idem pour ce qui est des fleurs d'extérieurs: je me souviens que nous ayons eu un petit rosier une année, et des hémérocalles qui fleurissaient sans qu'on ne s'en occupe, mais sinon, rien. Même notre "pelouse" était en fait du "foin" à l'abandon tondu occasionnellement (c'était on ne peut plus écologique, mais par manque d'intérêt, il faut bien le dire). Je ne blâme pas mes parents. Même des vivaces "sans entretien" demandent des efforts pour leur établissement, les premières années, et un potager en demande encore plus, chaque année; je le constate actuellement en faisant mes premières armes. Mes parents avaient d'autres intérêts et occupaient leur temps autrement.

Pour ma part, il fut une époque pas si lointaine où je me disais que le jour où j'aurais un terrain, il n'y aurait que du gazon et des choses qui se mangent. Pas question de mettre de l'effort "juste pour l'apparence" dans des fleurs et autres frivolités. Oui, j'ai déjà pensé ainsi! Pourtant, j'aime les fleurs, je suis toujours heureuse d'aller faire un tour au Jardin botanique ou de voir de belles plate-bandes en me promenant. J'étais simplement consciente que mon temps ne s'étirerait pas le jour où j'aurais un terrain et je voulais poursuiver mes anciens intérêts, comme la cuisine. De plus, dans mon expérience, le gazon ne nécessitait qu'une tonte hebdomadaire (ou moins), contrairement aux fleurs qui nécessitaient engrais et bichonnage tout au cours de l'été. Je ne connaissais pas encore le Jardinier paresseux!

J'ai commencé à changer d'idée en remarquant un terrain sur mon ancienne rue où il n'y avait justement QUE du gazon. Même avec un gazon en bon état, cette propriété avait mauvaise mine comparée aux autres avec au moins de petites plate-bandes. La comparaison était facile puisqu'il s'agissait d'un quartier complet de condos se ressemblant tous, tous construits avec les mêmes matériaux de façade et le même style architectural. J'ai donc assoupli ma politique en me disant que, oui, j'aurais QUELQUES fleurs, parce que les apparences ont quand même une petite importance (même si elle n'a pas besoin d'être aussi grande que celle que trop de gens lui donnent).

Puis j'ai commencé à entendre parler d'horticulture écologique et de plantes plus faciles d'entretien que d'autres. J'ai aussi réalisé que le gazon n'était souvent pas aussi écologique que l'herbe négligée de mes parents (qui, eux-mêmes, ont changé leurs pratiques à cet égard lorsqu'un changement d'emploi a amené un déménagement de la grande-ville-où-tout-le-monde-semble-s'en-foutre à une banlieue-où-le-gazon-doit-toujours-être-plus-vert, histoire de ne pas être les parias du quartier). Il me semblait dorénavant logique de vouloir de la biodiversité dans ma cour, donc moins de gazon là où on n'a pas besoin de marcher. Néanmoins, quand je repensais aux heures et aux jours consacrés par mes grand-parents à leurs végétaux, je n'avais pas envie de faire de même. Mettre des efforts pour un potager, oui, car au moins on en profite en mangeant les récoltes! Mais pour les fleurs? J'aurais des vivaces, point! Et surtout pas question de bulbes et autres fantaisies qu'il faut planter chaque année et rentrer en hiver. Trop de trouble!

Évidemment, la réalité est bien différente. J'ai laissé tomber mon perfectionnisme. À long terme, je veux principalement des vivaces, mais mes livres de jardinage écolo m'ont appris qu'on ne devient pas une jardinière paresseuse du jour au lendemain. Cette année, les annuelles dominent, histoire de remplir les plate-bandes le temps de mieux les connaître (ensoleillement, drainage) et sans que les herbes sauvages pas toujours belles ne les prenennt d'assault. J'ai acheté un grand total de seulement deux espèces de vivaces... et c'est tant mieux! Je réalise que même si, par exemple, tel côté de la maison est à l'est et donc en zone de (mi-)soleil, certaines micro-zones sont très ombragées. Il me faudra une plante d'ombre pour les deux pieds carrés à côté de tel escalier, ce dernier l'abritant du soleil presque toute la journée. Et ainsi de suite. Planter des annuelles m'a donc permis de prendre le temps d'apprivoiser mon terrain, le temps de penser à ce que je veux en faire en terme d'aménagements plus permanents. Tout comme mon potager imparfait m'a appris nombre de choses qui feront que mes potagers planifiés du futur performeront mieux.

Et les fleurs de famille dans tout ça? Ce printemps, ma tante m'a offert quelques bulbes de dahlias. J'étais un peu réticente--des bulbes tendres qu'il faut déterrer et entreposer au frais mais à l'abri du gel pour l'hiver, bof, c'est beaucoup d'effort, ce n'est pas dans ma philosophie à long terme... J'ai quand même accepté. Une nouvelle maison amène tant de coûts que je ne pouvais pas refuser une occasion d'embellir mes plate-bandes sans frais. Et puis, ce n'étaient que quelques bulbes, pas une cour entière...

Depuis juillet, mes dahlias sont absolument magnifiques. Ils dominent ma plate-bande de devant de façon spectaculaire, tant par leur taille que par leurs nombreuses fleurs rouges. Je les adore.


Quand ma tante m'a visité pour la première fois dans cette maison, je n'ai pas manqué de lui montrer à quel point "ses" dahlias étaient magnifiques. Elle m'a alors appris que ces bulbes provenaient de mes grand-parents, qui les lui avaient donné lorsqu'ils avaient vendu leur maison à la campagne pour s'installer en ville, dans un petit appartement, leurs capacités ne leur permettant plus de vivre trop isolés. Ai-je besoin de dire que j'aime encore plus mes fleurs depuis que je connais leur histoire? Ces dahlias viennent de mes grand-parents qui les ont chouchoutés pendant des années. Et voilà que j'en ai la garde! Certaines familles se transmettent des bijoux de génération en génération. Mes bijoux, moi, sont vivants! Dorénavant, impossible de planifier mes plate-bandes sans un petit espace pour mes dahlias. Je trouverai une vivace qui fleurit au printemps et dépérit ensuite, et je planterai mes dahlias de famille juste devant, pour prendre la relève de l'apparence au milieu de l'été. Je mettrai de côté ma paresse jardinière pour une heure ou deux chaque printemps et chaque automne, le temps de les planter et de les déterrer, pour faire vivre cette tradition familiale. Aimer l'environnement et vouloir le protéger, entre mille autres gestes en ayant une cour écologique, c'est pour moi une façon de favoriser une belle vie à mes enfants dans les années futures; j'ai découvert que je peux, en même temps, honorer mes ancêtres et faire durer leur souvenir. Merci, chère tante, et merci, Grand-Maman et Grand-Papa!

Photo prise le 10 août 2010.

2 commentaires:

  1. Quelle belle histoire! J'ai aussi un plan, plus modeste, de dahlias rouges, que j'adore, même s'il n'a pas une histoire aussi romantique! Cependant ça ne te prendra pas une heure ou peux pour les déterrer et les enterrer, une quinzaine de minutes te suffiront. Je met mes bulbes dans un bol ouvert, au-dessus de mes armoires de cuisines, tout l'hiver, et au printemps quand je vais les chercher, j'ai déjà quelques feuilles de sorties! :) Dans le même ordre d'idées, si quelqu'un sous-entend que tu peux laisser tes glaïeuls en terre tout l'hiver, n'en fait rien, mets-les avec tes dahlia. J'ai perdu de magnifiques spécimens de glaïeuls blancs en suivant ce conseil...

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  2. Ho... quelle belle histoire ! Moi aussi je veux des fleurs de famille ! ;0)

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